Nouvelles
Jean Vanier: une icône, non une idole
Par Carolyn Whitney-Brown
Cet article a été publié dans la revue Sojourners.
À la mort de Jean Vanier le 7 mai, je me suis souvenue du premier article que j’ai lu de lui dans Sojourners, dans les années ’70. Encore adolescente, je cherchais une façon de vivre plus radicalement ma foi en Jésus, avec d’autres personnes au sein d’une communauté. J’ai été touchée par sa façon de conjuguer son idéalisme et son expérience. Pour plusieurs de ma génération, ces années ont été une époque de découverte, dans notre tentative de briser les murs entre les différentes églises, dénominations religieuses, communautés économiques et sociales. J’ai d’abord été bénévole le samedi dans un atelier avec des personnes ayant une déficience intellectuelle. J’ai aussi travaillé de nuit auprès de femmes ayant un handicap physique. Quinze années plus tard, je suis finalement venue à L’Arche, la fédération internationale de communautés fondée par Jean Vanier, où vivent ensemble des personnes avec et sans déficience intellectuelle.
En lisant la vague de nécrologies et d’hommages à Jean parus ces dernières semaines, j’ai réalisé que le message central de Jean, d’encourager la transformation d’une société de privilèges et la création de communautés rassemblant toutes les diversités, garde tout son sens même sans référence à Jésus – mais que sa vie n’avait de sens qu’en Jésus. Ses désirs et ses choix les plus profonds étaient intimement liés à l’évangile, à l’histoire de Jésus et de sa communauté.
À la fin des années ’90, une revue jésuite m’a demandé d’écrire un article sur Jean. J’ai tout de suite dit oui, avant de découvrir qu’écrire sur Jean Vanier, c’était comme essayer d’écrire sur une photographie surexposée. Il n’y avait que de la lumière sans aucune ombre. Il est peut-être comme Peter Pan, me suis-je dit, et son ombre, où qu’elle soit, n’est pas collée à ses pieds. C’est ainsi que pendant 20 ans j’ai cherché, non « l’ombre » de Jean, mais à comprendre le pouvoir extraordinaire de Jean Vanier, en tant que mythe et symbole, pourquoi les gens ont-ils de lui une image si rayonnante. Pourquoi tant de gens choisissent-ils de l’appeler un saint ?
Je lui ai donc demandé directement « Êtes-vous un saint ? »; mettant sa tête dans ses mains avec un air affligé, il m’a répondu : « Personne ne me connaît ».
Il m’a encouragée dans mes propres écrits, à discerner et à respecter la différence entre le personnel et le privé. Jean ne révélait pas beaucoup de détails sur sa vie personnelle, mais se référait souvent à ses propres limites pour aider les lecteurs à accepter les leurs. Dans les années ’70, en rigolant à moitié, il a proposé d’écrire un livre appelé « Le droit d’être un sale type » ou, précisait-il, le droit d’être soi-même. Dans son dernier livre publié en 2017, qui rassemble plusieurs essais biographiques, il exhorte les lecteurs à reconnaître qu’il est un humain comme nous tous, et qu’il a commis plusieurs erreurs. On peut même lire sur la page du site de L’Arche Internationale annonçant sa mort : « Il savait qu’il n’était pas un saint. »
Et pourtant, tous les articles à son sujet ces dernières semaines parlent de Jean comme d’un saint. Et c’est vrai que Jean était un homme fascinant, qui savait appeler le meilleur chez tous ceux qui l’entouraient, quelles que soient leurs capacités.
Jean et moi avons reparlé de cette question de ‘sainteté’ en 2017, lors de notre dernière rencontre. Il a cité Dorothy Day : « Ne m’appelez pas sainte. Je ne veux pas être mise au rancart aussi facilement. » Jean était mal à l’aise avec la définition du saint comme un modèle de perfection inaccessible, seul sur son piédestal; mais si cela signifiait être membre de la communauté chrétienne, alors il se réjouissait de faire partie de la communauté des saints, vivants et morts. Au moment de nous dire au revoir, debout à la grille de sa petite maison de Trosly, il m’a crié « N’oublie pas, le message, pas le messager ! » et j’ai crié à mon tour « Ok Jean, mais le message est toujours incarné ! » Et nous nous sommes quittés en riant.
Donc mes amis, je veux simplement vous dire : Jean n’était pas parfait et il a blessé des gens et il le savait. Si cela détruit l’idée que vous vous faisiez de Jean, questionnez-vous sur l’importance pour vous de l’image de perfection. Seule la lumière est sans ombre et Dieu seul est lumière. Transformer une personne en lumière, c’est créer une idole. Jean Vanier se voyait plutôt comme Jean le Baptiste, celui qui montre la lumière. Celui qui montre la lumière est entouré d’ombres et de contrastes, de zones inarticulées, peut-être même inaccessibles. Je soupçonne que ces zones chez Jean, mystérieuses même pour lui, sont inextricablement liées à ses dons. Laissons Jean être une icône, et non une idole, qui nous aide, même imparfaitement, à entrevoir Dieu.
Ce qui m’habite dans le message de Jean, est sa confiance envers les dons de chacun, envers notre capacité à créer ensemble et à transformer. Jean disait que ses compagnons ayant une déficience intellectuelle l’aidaient à ralentir. Avec eux, il a appris à ‘perdre du temps ensemble’. Les repas, les moments de prière, les moments de deuil, de tristesse, ou de fou-rires, les célébrations – tous étaient des moments de partage de vie, de solidarité, dans les moments intenses, comme dans la simple routine quotidienne.
Le message et la vie de Jean appelaient les gens à sortir de leur petit cercle et à se lier avec ceux qui sont différents. Il cherchait comment briser notre résistance envers les gens et les situations face auxquels nous pourrions éprouver initialement de la répulsion. Il ne s’agissait pas fondamentalement pour lui de devenir meilleur, mais plutôt d’arriver, avec nos limites et nos blessures, à bâtir des relations avec d’autres personnes imparfaites.
À travers ces liens, affirmait-il, nous trouverions la paix – et cheminerions ensemble. En 2016 il imaginait : « Peut-être le monde sera-t-il transformé quand nous apprendrons à nous amuser ensemble. »
Dr. Carolyn Whitney-Brown a vécu sept ans à L’Arche Daybreak à Richmond Hill, et a depuis réalisé des projets pour L’Arche Canada et L’Arche internationale. Elle a publié entre autres Jean Vanier: Essential Writings (Orbis, 2008), Sharing Life: Stories of L’Arche Founders (à paraître : Paulist Press, 2019), et Tender to the World: Jean Vanier, L’Arche and the United Church of Canada (à paraître : McGill-Queens University Press, 2019). Elle a fait son bac au Victoria College (University of Toronto), et sa maîtrise et son doctorat à Brown University (Rhode Island).
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